Pour la plupart des personnes qui ne pratiquent pas la généalogie, l’aspect le plus motivant consiste probablement à chercher l’origine de son patronyme – nom de famille – et donc à privilégier sa lignée agnatique (c’est-à-dire la succession de père en fils).

Pour les généalogistes, toutes les branches successorales se valent. Heureusement car en général, la branche agnatique n’est qu’une branche parmi des centaines d’autres lorsqu’on remonte de seulement une dizaine de générations.

Et pourtant …

Depuis 2004, mes recherches agnatiques sur le patronyme CROZE étaient bloquées vers le milieu du XVIIIème siècle sur un couple Jean Pierre CROZE – Marianne VEY dans le village de Marcols-les-Eaux en Ardèche. Bien sûr, il s’agissait d’un résultat déjà satisfaisant puisque ces ancêtres vivaient sous le règne de Louis XV. Néanmoins, il est courant de pouvoir remonter jusqu’aux environs de 1650 pour bon nombre de patronymes en utilisant les archives paroissiales, d’où un sentiment de frustration (pour remonter au-delà, il faut consulter les archives notariales et avoir un peu de chance et beaucoup de disponibilité et de persévérance).

Ce couple d’ancêtres m’intéresse particulièrement, descendant deux fois de ce couple : deux de leurs descendants – qui sont également mes ascendants – se sont mariés en 1884 à Marcols-les-Eaux. On trouve là un cas classique de sédentarité, une famille et ses descendants restant pendant des générations au même lieu. On peut également y voir une manière de préserver le patrimoine familial en évitant la division des héritages (en l’occurrence, la ferme familiale de Sénoulis où la lignée CROZE habite depuis au moins 1840).

L’existence du couple CROZE / VEY était attestée par trois sources :

• L’acte de mariage d’un de leur fils, Jacques CROZE, le 7 avril 1785 à … Marcols bien sûr.
  « Lan que dessus le septieme avril les formalités canoniques & civilles dument abservées j’ay beny le mariage de Jacques Croze fils légitime de feux jean pierre & de marianne Vey avec Jeanne Galéz aussy fille légitime de jean & de Jeanne malosse habitant aux lieu de Marcols. Présents Jean Pierre monteil, Jean faurie, Pierre Blanc et Jean antoine Galéz. Patou curé »
• L’acte de décès d’une de leur fille, Marianne CROZE
  
  « Lan mille sept cent quatre vingt-trois, et le dixhuitième decembre est décédée, et a été enterrée le lendemain marianne croze, fille légitime de feux jean pierre et de marianne veny, agée d’environ vingt sept ans et munie des sacremens, presens Etienne monteil, louis lavoze, dit monteil et plusieurs autres. Patou »
• Une troisième source non vérifiée – le message 13908 du 6 février 2006 sur le forum Yahoo consacré à la généalogie en Vivarais et Velay – mentionne le mariage de Marie CROZE, fille de Jean Pierre CROZE et Marianne VEY ou REY, le 24 février 1784 à Marcols. La consultation des registres numérisés des Archives de l’Ardèche ne m’a pas permis de trouver cet acte. Les Archives Départementales m’ont précisé qu’elles ne possédaient pas d’autre collection des registres (les registres paroissiaux étaient tenus en deux exemplaires selon l’ordonnance de Saint-Germain-en-Laye de Louis XIV en 1667) : l’autre collection se trouve encore à la mairie de Marcols-les-Eaux, mais sa consultation n’est plus autorisée à cause de son état de conservation.

En mai 2005, j’ai également créé sur Geneanet un forum consacré au patronyme CROZE et le premier sujet du forum a été consacré à l’impasse où je me trouvais concernant ce couple.

L’enquête repart

La situation n’avait pas évoluée depuis février 2006 -voire même mai 2005 – lorsque j’ai reçu le 20 février 2013 un message provenant du forum Geneanet mentionnant qu’il y avait un acte de naissance concernant Jacques CROZE, fils de Jean Pierre CROZE et Marie Anne VENY le 30 septembre 1757 à … Saint-Martial (Ardèche, soit à une trentaine de kilomètres de Marcols-les-Eaux).

Carte de Cassini (milieu du XVIIIème siècle)

Sur la carte de Cassini ci-dessus, Saint-Martial (appelé Saint-Martial-des-Boutières à l’époque) est en haut à gauche alors que Marcols-les-Eaux (Marcols autrefois) se trouve en bas à droite. Il est dommage que les cartes de Cassini ne représente jamais les routes et chemins.

Le site des archives numérisées de l’Ardèche m’a immédiatement permis d’explorer cette piste : tous les éléments concordent, malgré la petite différence de nom : VEY et VENY. Mais si l’on examine attentivement l’acte de décès de Marianne CROZE ci-dessus, on s’aperçoit qu’il y a une lettre entre le E et le Y et cette lettre, que j’avais jusqu’alors négligée, ressemble bien à un N : vive la paléographie !

L’acte de mariage de Jacques CROZE ne permet pas cette lecture, mais on sait que les erreurs sont légion dans les actes paroissiaux. Cela est d’autant plus vraisemblable que rien ne prouve que le couple Jean Pierre CROZE – Marie Anne VENY est séjourné à Marcols !

Par ailleurs, on trouve bien à Saint-Martial la naissance en 1751 d’une Marie Anne CROZE, fille de Jean Pierre CROZE et Marianne VENY. Enfin, Marianne VENY, épouse de « Pierre CROZE », est décédé le 27 avril 1777 à Saint-Martial, donc avant le décès de Marianne CROZE à Marcols en 1783.

Tous ces actes à Saint-Martial sont donc compatibles avec ceux trouvés à Marcols-les-Eaux.

Il parait donc vraisemblable qu’il s’agisse bien du couple si longtemps cherché.

En conclusion

• la généalogie est une affaire de patience
• la généalogie progresse grâce à l’entraide généalogique – merci à François CHATRON, le mari d’une cousine découverte grâce à Geneanet, qui a fourni l’information capitale sur le forum Geneanet
• La mise en ligne des archives numérisées multiplie la vitesse des recherches (en 2005, j’aurais dû commander les bobines microfilmées des registres et les consulter dans la salle de lecture des Archives du Doubs, soit un bon mois d’attente) alors que deux jours de recherches sur le site des Archives de l’Ardèche et sur l’excellent site de Christian DEAL et Pierre AURANT consacré à Saint-Martial m’ont permis via les registres paroissiaux et les relevés d’archives notariales de remonter jusqu’à un ancêtre agnatique Pierre CROZE né avant 1624.
• J’ai encore beaucoup de pistes à explorer, notamment sur les branches collatérales, et beaucoup d’actes à me procurer via l’entraide généalogique : et oui, les archives notariales ne sont encore que rarement numérisées en France ! Il faut également comprendre ce qui a poussé Marianne CROZE et Jacques CROZE à quitter Saint-Martial pour émigrer à Marcols.